mercredi, juin 23

Dix ans après, tu n'es plus là, tu es parti. Tu ne reviendras point.
Le soleil ne se lève plus sur les montagnes et ne brille plus sur la kabylie.
De mon côté également, mon soleil a cessé de briller. La chaleur s'est rafraîchie. "tassaw turwed asemmid." J'ai froid en proie à l'effroi.

-Frère de langue et de coeur, ami d'enfance et d'école, camarade de route et de joute, compagnon de lutte et de combat.-

Depuis, le deuil gagne les coeurs et s'y installe. Les interrogations sont interminables.
Le silence est pesant, un silence de mort, ta mort, Matoub Lounes.

Dix ans après, la comédie continue, plutôt la tragédie dans laquelle a été mise en scène ta disparition, symbole de la démocratie et chantre de la chanson kabyle de la liberté.
Ta mort sonne le glas et nous annonce un changement, un grand vide en kabylie: ta voix éteinte a emporté avec elle l'élan que tu avais jusque là suscité par tes vifs messages d'espoir.

-Une voix s'éteint, un homme tombe, un militant meurt et l'artiste demeure à jamais.-

Matoub, je te croyais immortel, il me semble bien que tu le sois même après ta mort. Oui, tu vivras en immortel dans nos coeurs, dans nos mémoires et dans nos oreilles.

-Ta chanson vit et vivra encore.-

Dix ans après, je pleure ta mort, je regrette ton absence. Tu me manques.
Tu manques à ta famille, à tes fans et à ton peuple: tamurt est orpheline.

Artisan du mot, artiste du verbe, amateur du sens et animateur du contre sens, tu es le moteur et promoteur de la rhétorique à l'ancienne comme le faisaient les grands orateurs tribains dans la tradition kabyle et berbère.

Fierté et orgueil à Tamazgha, à la kabylie et à ton village qui t'a vu naître un jour, un jour du mois de janvier de l'année1956 et qui t'a vu mourir un autre jour, un jour du mois de juin de l'année 1998.

-Tu as grandi ta patrie, tu as brandi ta montagne et tu as honoré ton peuple.-

Tu trouveras dans ma missive, cette lettre posthume, toute ma gratitude pour tes actes que tu as posés et tes actions que tu as menées. Inscrite dans le déterminisme et le réalisme, ton oeuvre en témoigne au quotidien. Par le sceau indélébile de ton empreinte, tu as marqué le flux et le reflux des souvenirs dans la mémoire collective.

Tu en as fait, tu en as beaucoup fait, même si la mort t'a arraché à l'orée de la maturité. Tu es né le 24 et tu es mort le 25: un jour de ta vie a été plus fertile que la vie stérile de tes bourreaux et de tes fossoyeurs.

Dix ans après, le mystère de ta mort est toujours là, il n'est pas élucidé, il a été même éludé par certains pour ne pas dire la vérité. Le terrain de ta mort est parsemé de cryptes et de zones d'ombre. L'affaire complexe, se complique encore plus, allant d'un secret de polichinelle à un secret d'état.

-Point de procès, point de jugement et point de verdict.-

Qui est l'auteur et qui est coupable de ton assassinat?
L'interrogation se poursuit...

Hier, je suivais ta logique et aujourd'hui je suis ton regard: il y a convergence au même point, au point de départ, au point mort, au point de ta mort. Tu sais donc les causes! Tu connais également les auteurs! Dis-moi! Dis-nous! Nous n'en savons rien, plutôt nous avons peur de savoir. Est-ce pour celà que tu ne veux pas dire?

Paix à ton âme, gloire à ton oeuvre. Tu es une légende. Tu passes à la postérité. Tu entres dans l'Histoire par la grande porte et en grandes pompes.

-J'ouvre le livre d'Histoire à la page qui t'est consacrée, écrite de ta propre main.-

Dix ans après, ton âme ne s'est pas apaisée et ma douleur ne s'est pas estompée. Tes criminels vivent à l'ombre de l'injustice. Je me pose des questions comme tant d'autres personnes à la recherche de la justice à propos de la mort du juste:

Qui est le cerveau persécuté, qui a concocté et commandité l'ordre?
Qui est le bras amputé et imputé, qui a répercuté l'ordre?
Qui est la main rapporté, qui a exécuté l'ordre, l'ordre de tuer?

Les criminels à la conscience noire, aux mains sales se démasqueront ils un jour? Continueront-ils à garder leur terrible secret?
Puisse ce secret les ronger jusqu'au dernier souffle et leur procurer d'affreuses tortures morales.

Il n'y aura pas de châtiment assez lourd pour eux. Ton ombre viendra poindre chaque nuit pour hanter leur sommeil: "d'anzaw ar awen-d isawlen."
Ce sera une maigre consolation pour moi.

-Pour ma part, je ne faiblis pas et n'abandonne pas, comme je n'oublie pas et ne pardonne pas.-

Ainsi, je poursuis dans ma quête et formule ma requête dans laquelle je demande solennellement à la Justice de passer pour faire toute la lumière sur l'assassinat du fidèle et loyal militant.

De là à l'au-delà, Matoub, tu es toujours là.

Salut l'artiste.

Paris Juin 2008
Malika Domrane

lundi, juin 21

Un poète peut-il mourir ?


Pour toi Lwennas ;
Lorsque les ténèbres engloutissent la clarté avec la hargne et la boulimie de la bêtise, et que l’on assiste amer au griffage morbide de l’identité millénaire. Alors le mythe devient réalité, et ces déments nous agressent à chaque instant.Nous refusons de plier. Le greffon ne veut pas prendre et les bourgeons éclosent plus bas avec la rapidité et la force de la vie qu’on étouffe.
Nous n’aurons de paix que lorsque nous vivrons avec nous même, et que nos ancêtres cesserons de se retourner dans leurs tombes. La négation nous offusque à en mourir, les très-fonds de notre âme en sont martyrisés.
Matoub lwennas, tu chantes tout haut ce que tes frères ressentent tout bas ?
Victimes que nous sommes d’un système, où le mot liberté veut dire : liberté des uns à disposer des autres. Tu es un beau, mon cœur outragé, une preuve vivante de nôtre inénarrable attachement à rester debout. Le chant vient de ton âme et ta voix gonflée de rancœur et de colère nous réchauffe les os.
Nous entrevoyons TAOUS AMROUCHE traverser les cieux de notre pays en compagnie d’un guerrier Numide. Les tatouages de nos mères deviennent alors vérités absolues, rien d’autre ne saurait ni ne pourrait nous guider.
Lounes tu nous as rappelé avec bonheur, que même lorsque l’on perd son sang, l’atavisme se régénère. Y a-t-il loi de la nature plus belle ?
La confiscation de notre liberté, par ces gueux qui nous gouvernent, a fait de notre peuple un troupeau malade ; où les meilleurs ont disparu, isolés ou vaincus et les médiocres ont pris des allures d’astres scintillants.
Pleure ; oh vestale !
Chante leur Lwennas que la démocratie a été le premier goût dans nos bouches, que nous l’avons tété aux seins de nos mères. Chante leur notre soif de justice et de réparation. Chante matoub chante ; un poète peut-il mourir ?

mercredi, juin 16